Dépêche AEF : “Le lien historique de proximité entre IEN et enseignants se détricote” (David Megret, IEN-ID-FO)
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“La défense des corps et des statuts dans la fonction publique est primordiale et c’est le déclencheur” de la création, en septembre dernier, d’un secteur IEN au sein du syndicat ID-FO, explique son responsable David Megret, dans une interview à AEF info le 8 juin 2022. Ce nouveau secteur est provisoirement rattaché à ID-FO avant de “s’émanciper” du syndicat de chefs d’établissement, d’ici à quelques années. David Megret précise que le secteur regroupe des IEN aux analyses communes autour “des conditions de travail, de perte de sens du métier, des tâches quotidiennes qui s’accumulent”. Les revendications principales sont “le dégel du point d’indice”, “une nouvelle grille indiciaire plus favorable notamment pour le début de carrière des IEN” et l’opposition au projet de fusion des corps d’inspection. IEN-ID-FO critique également l’expérimentation dans les écoles marseillaises.
AEF info : Un secteur Inspecteurs de l’Éducation nationale (IEN) a été créé au sein d’ID-FO (Secteur IEN ID-FO), syndicat de chefs d’établissement de Force ouvrière. Pourquoi ne pas avoir créé un syndicat indépendant ?
David Megret (1) : Nous avons entamé les démarches en septembre dernier en nous rapprochant d’ID-FO, dans un premier temps. Nous avons choisi cette modalité car elle facilite la création d’une structure opérationnelle, les statuts d’ID-FO permettant d’accueillir un secteur d’IEN. Ceci est toutefois provisoire : nous avons pour objectif de nous émanciper d’ID avec son accord et en conformité avec ses statuts dès que notre organisation sera suffisamment solide, vraisemblablement pas avant 2024. Nous souhaitons toutefois mettre en place dès 2023 une instance délibérative afin d’avoir des élus spécifiques au secteur IEN.
AEF info : D’où vient l’idée de créer un syndicat d’IEN au sein de FO ?
David Megret : Les IEN sont des personnels mobiles, amenés à se rencontrer lors de formations, lorsqu’ils changent de poste, dans les instances, etc. Nous avons partagé entre collègues des sentiments communs quant aux problématiques des conditions de travail, de perte de sens du métier, des tâches quotidiennes qui s’accumulent et deviennent de plus en plus compliquées à réaliser… Or, nous ne nous retrouvions pas forcément dans les positions des deux syndicats représentatifs (2). L’indépendance d’ID-FO et sa liberté de parole nous ont incités à nous rapprocher des chefs d’établissement membres de cette organisation représentative. Nous n’étions qu’une poignée d’IEN au départ mais aujourd’hui nous sommes présents dans les académies de Lille, Normandie, Nantes, Orléans-Tours et la Réunion. Nous sommes en pourparlers avec des collègues dans le reste de l’Hexagone ainsi que dans les outre-mer.
AEF info : Pourquoi le secteur ne concerne-t-il que les IEN, et pas également les IA-IPR, alors qu’une fusion des corps est envisagée (lire sur AEF info) ?
David Megret : Nous nous posons la question de réunir IEN et IA-IPR mais notre tout jeune syndicat est né de la rencontre d’inspecteurs sur le terrain et pour l’heure, ce ne sont que des IEN. Nous n’avons pour l’instant pas de contact avec des IA-IPR, mais nous sommes prêts à accueillir leurs revendications et leur engagement en vue de participer à notre nouvelle organisation.
AEF info : Justement, que pensez-vous de ce projet de fusion des corps d’inspection ?
David Megret : Les spécificités d’exercice d’un IEN ne sont pas celles d’un IA-IPR. Les vraies questions qui se posent sont celles de la rémunération et des conditions de travail, pas celle d’un rapprochement des corps. La circonscription constitue notre territoire d’exercice historique, nous y sommes attachés. De la même manière, nous sommes très attachés au statut actuel des directeurs, enseignants et collègues des professeurs des écoles, au sein de circonscriptions. La loi Rilhac est donc problématique car elle modifie le périmètre d’exercice des directions d’école et la nature des liens entre les personnels au sein des écoles. Ces évolutions impacteront l’organisation des circonscriptions et les relations entre les IEN et les directions d’école. Elle génère de la confusion sur la question de l’évaluation des personnels, de l’encadrement ou encore de la formation… À cela s’ajoute l’expérimentation des évaluations d’écoles et d’établissements, dispositifs engageant les IEN hors de leur circonscription d’exercice, sur le département ou l’académie, pour des opérations d’évaluation ponctuelles et chronophages d’écoles et d’équipes qu’ils ne connaissent pas. À l’inexorable extension de nos territoires d’exercice s’ajoutent depuis quelques années des tâches et missions comme le contrôle des instructions en familles, des écoles privées hors contrat, la gestion des Pial les demandent statistiques permanentes. En reliant tous ces éléments les uns aux autres, nous percevons le détricotage du lien historique de proximité entre IEN et enseignants en circonscription. Nous sommes opposés à cette logique qui conduirait à la fusion des corps d’inspection qui conduirait à terme à la création d’un corps d’encadrement unique.
AEF info : Plus globalement, quelles revendications portez-vous ?
David Megret : La défense des corps et des statuts dans la fonction publique est primordiale et c’est le déclencheur de la démarche. Le Rifseep, nouveau régime indemnitaire imposé aux corps d’inspection, est pour nous une rémunération “au mérite” qui ne veut pas dire son nom et c’est un problème : les IEN sont un corps extrêmement loyal mais il doit avoir une liberté de parole au sein de l’institution, avec sa hiérarchie, de manière à pouvoir l’informer et l’alerter. Or, cela devient compliqué avec cette partie de rémunération liée “au mérite” selon des critères locaux et subjectifs. Ce régime instaure de plus une compétition entre les inspecteurs qui n’a pas lieu d’être, générant des tensions et contribuant à la dégradation des conditions de travail. Nous sommes en outre très attentifs à la mise en place du Rifseep, très variable d’une académie à une autre. La question de la rémunération est également une revendication. Nous demandons le dégel du point d’indice ainsi qu’une nouvelle grille indiciaire plus favorable notamment pour le début de carrière des IEN.
Par ailleurs, comme toutes les organisations, nous accompagnons les collègues sur la mobilité, la carrière, les situations de travail complexes et nous participons aux instances et groupes de travail.
AEF info : Quel est votre avis sur l’expérimentation marseillaise dans les écoles (lire sur AEF info) ?
David Megret : Quand un directeur d’école recrute des enseignants, c’est un glissement dangereux vers la fin de leur statut. L’ajout à cela du recours massif aux contractuels contribue de manière extrêmement méthodique à attaquer les statuts qui permettent aux personnels d’agir au quotidien au sein de la fonction publique au service de l’intérêt général.
AEF info : Le secteur IEN d’ID-FO sera-t-il présent lors des prochaines élections professionnelles, à la fin de l’année ?
David Megret : Nous serons présents via ID-FO et la Fnec-FP-FO, avec comme objectif d’établir une liste qui réalisera le meilleur résultat possible. Parvenir à faire élire des représentants au niveau national et en académies serait pour nous une avancée intéressante.
Erwin Canard
1) David Megret est IEN à la Réunion. Il est issu du corps des professeurs des écoles au sein duquel il a exercé les fonctions d’enseignant, de directeur, de coordonnateur d’éducation prioritaire, de conseiller pédagogique et de formateur en Espé. Titulaire d’un Master 2 MEEF recherche en éducation, il fait partie du laboratoire de recherche IRISSE au sein de l’université de La Réunion.
(2) Le Sien-Unsa et le SUI-FSU.