Statut et nouveau management public deux logiques opposées, entretien avec Anicet Le Pors en 2020
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D.M. En 40 ans, de nombreuses attaques plus ou moins directes ont contribué au “mitage” du statut général de la fonction publique. Depuis 2018 le gouvernement tente de “réinventer” le service public en mobilisant notamment la notion de “nouveau management public”. Ses cadres sont de plus en plus souvent exposés à des discours et des formations les enjoignant à « augmenter leurs compétences managériales ».
En quoi ce “nouveau management public” que s’emploie à mettre en place le gouvernement remet-il en cause les principes d’égalité, d’indépendance et de responsabilité, principes organisateurs historiques du statut général de la fonction publique ?
LP. Le Nouveau Management Public (NMP) s’inscrit naturellement au sein de l’idéologie managériale qui tend à la généralisation des critères de gestion de l’entreprise privée à l’ensemble de la société. Économiquement, elle prend appui sur les axiomes de la théorie néoclassique élaborée à la fin du XIXe siècle. Or, les exigences méthodologiques de la gestion du service public finalisé par l’intérêt général par nature multidimensionnel sont d’un niveau bien supérieur à celles de l’entreprise privée axé sur le taux de rentabilité interne ou le retour sur investissement.
Il y a donc bien une nécessité d’approfondissement théorique de la notion d’efficacité sociale, mais le NMP n’y répond pas par la simple transposition du privé au public.
Il est évidemment contraire au principe d’égalité en faisant du contrat une source autonome du droit de la fonction publique, introduisant par là une concurrence entre modes de recrutement, de formation, de gestion, de droits et obligations, etc. Il est contraire au principe d’indépendance puisque l’agent recruté sur contrat n’est tenu qu’au respect des règles posées par celui-ci dans le cadre de sa mission et pendant la durée de celle-ci. Il est contraire au principe de responsabilité puisqu’il n’a d’autres comptes à rendre que ceux correspondant au champ et à la nature de son activité.
Le NMP fait ainsi courir trois risques au service public : de confusion des inégalités, de conflit d’intérêts, de captation de l’action publique par le privé.
D.M. Compte-tenu des crises économiques et sanitaires affrontées ces dernières décennies et des enjeux sociaux et climatiques devant nous, quel service public vous semble-t-il impératif d’ériger ?
LP. Il convient tout d’abord de concevoir le service public comme l’expression d’un effort collectif solidaire. La faveur de la population et le soutien des organisations syndicales représentatives sont indispensables.
Il est significatif que le statut général des fonctionnaires de 1983 ait été soutenu par l’ensemble des syndicats alors que la loi dite de transformation d’août 2019 a rencontré l’opposition de l’ensemble de ces organisations. D’où l’importance du respect du droit à la négociation qui leur a été reconnu. Il faut ensuite souligner le caractère structurel du service public qui ne peut être soumis aux contingences. Il doit s’adapter en permanence aux évolutions des besoins des populations, au progrès technique et aux changements intervenant dans le contexte national et international. À cet effet il convient de réformer l’ensemble des grilles de classification des qualifications.
La crise sanitaire en a démontré l’urgence notamment dans les services de santé, d’éducation, de recherche, d’assistance sociale. C’est dans ce nouveau cadre que doivent être traités les problèmes relatifs à l’égalité femmes-hommes, au numérique, aux relations internationales, aux spécificités de la haute fonction publique, etc.
Enfin, le service public ne peut s’analyser correctement que dans une perspective de long terme. Le principe de l’annualité budgétaire ne saurait donc être directeur dans une telle démarche.
Autant de défis théoriques, juridiques, professionnels pour la haute fonction publique.